Récemment, un commerçant strasbourgeois s’est retrouvé au cœur d’une polémique après la diffusion d’une vidéo montrant le gérant refuser les services d’une intérimaire venue voilée. Les acteurs de l’entreprise sont, on le voit, fréquemment confrontés à la question de l’expression des convictions religieuses. Ce sujet suscite des interrogations auxquelles il est nécessaire d’apporter des réponses claires et opérationnelles.
UN PRINCIPE DE NEUTRALITÉ GARANTI DANS LES SERVICES PUBLICS
Le Conseil d’État a rappelé qu’un « devoir de stricte neutralité [...] s’impose à tout agent
collaborant à un service public » (CE 8 déc. 1948, CE 3 mai 1950). Il est donc interdit à ces agents de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires.
La chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que cet impératif de neutralité s’impose également aux agents d’organismes privés qui gèrent un service public : ils sont « soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires » (Cass soc. 19 mars 2013).
DES DISPOSITIONS QUI NE TROUVENT PAS APPLICATION DANS LE SECTEUR PRIVÉ
S’agissant des entreprises privées, la situation est plus complexe : l’impératif de neutralité n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Le salarié peut donc en principe exprimer au sein de l’entreprise privée, par un habit ou par un signe, ses convictions religieuses.
Cette liberté est garantie par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui édicte que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique [...] la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ». Le Conseil d’État a rappelé que la liberté de culte est une liberté fondamentale (CE, 18 mai 2020).
Le salarié peut donc faire usage de sa liberté religieuse au sein de l’entreprise. D’ailleurs, cette liberté est protégée par l’interdiction faite à l’employeur de discriminer un salarié à raison de ses convictions religieuses (C. trav., art. L.1132-1).
QUELLE CONDUITE ADOPTER ?
Le « salut » du chef d’entreprise peut venir du règlement intérieur qui fixe les règles en
matière d’hygiène, de santé, de sécurité et de discipline dans l’entreprise. Il est obligatoire
dans les entreprises d’au moins 50 salariés mais reste possible pour les entités qui ne comportent pas un tel effectif.
Le document est établi par le chef d’entreprise puis transmis à l’inspecteur du travail qui en
contrôle la légalité et peut exiger le retrait ou la modification de dispositions qu’il juge contraires aux dispositions du code du travail.
Deux dispositions du Code du travail peuvent se révéler d’un grand secours pour l’employeur :
l’article L 1121-1 selon lequel l’employeur ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives (dont la liberté religieuse) de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
l’article L 1321-3, 2° et 3° suivant lequel le règlement intérieur de l’entreprise ne peut pas comporter des dispositions discriminant un salarié à raison de ses convictions religieuses.
Par un raisonnement a contrario, on peut donc soutenir que :
des restrictions indiquées dans le règlement intérieur de l’entreprise...
... justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
LA CLAUSE DE NEUTRALITÉ PEUT CONSTITUER UNE SOLUTION
Le Droit français et européen ont eu à statuer sur la validité de ces clauses :
Pour le Droit français, la clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, n’est valable que si elle est générale et indifférenciée et qu’elle n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients (Cass soc. 14 avril 2021).
Pour la Cour de justice de l’Union Européenne, l’interdiction de porter un foulard islamique, si elle découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant à tout travailleur de porter tout signe visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion, dès lors que ces règles sont appliquées de manière générale et indifférenciée (CJUE, 14 mars 2017). Ainsi, la clause doit interdire toute forme visible d’expression des convictions politiques philosophiques ou religieuses pour être valable et être en outre justifiée par un objectif légitime de réaliser cet objectif.
Ainsi, il existe donc une divergence entre le Droit français où la clause de neutralité n’est valable qu’à l’égard des salariés en contact avec la clientèle et le Droit de l’Union Européenne où la clause peut être appliquée à l’égard de l’ensemble des salariés.
Quoi qu’il en soit, notre arsenal législatif donne aux employeurs la faculté d’inclure des clauses de neutralité dans le règlement intérieur à condition d’être attentif au libellé de la clause. Celle-ci devra respecter les principes suivants :
viser tous les types de convictions personnelles (et non être limitée aux seules convictions religieuses) ;
être justifié par un objectif légitime. En ce sens, la CJUE a estimé que « la volonté d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés une politique, philosophique ou religieuse doit être considéré comme légitime » (CJUE, 14 mars 2017) ;
les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif «légitime» devront être appropriés et nécessaires.
C’est donc un exercice d’équilibre auquel nous invite notre législation, sachant que le poids des mots revêt ici une grande importance. En étant rigoureux dans sa rédaction, cette possibilité offre un cadre plus sécurisé pour les entreprises souhaitant instaurer une politique de neutralité.
Mieux vous informer, nous rapprocher de vous & encore mieux vous conseiller.
Nos équipes restent à votre écoute.
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